Joseph Ki-Zerbo

Le plaidoyer de Joseph Ki-Zerbo pour l’Afrique : Savoirs endogènes et positions stratégiques pour l’auto-développement

Joseph Ki-Zerbo nous a quittés le 4 Décembre 2006. A l’occasion du 7ème anniversaire de son décès, nous nous intéressons à son œuvre léguée pour un véritable développement de l’Afrique, qu’il a présentée comme étant le Berceau et l’Espoir de l’Humanité.
Le legs de Joseph Ki-Zerbo contenu notamment dans ses six livres posthumes publiés par la Fondation qui porte son nom : « Repères pour l’Afrique » en 2007 ; « Histoire critique de l’Afrique » en 2008, « Regards sur la société africaine » en 2009, « A propos de culture » en 2010, « Education et développement en Afrique : cinquante ans de réflexions et d’action » en 2010, et « Réflexions sur le développement » en 2012, ainsi que dans l’édition de 2013 de « A quand l’Afrique ? » est disponible à Ouagadougou (notamment au Centre de Documentation de la Fondation Joseph Ki-Zerbo pour l’Histoire et le Développement Endogène de l’Afrique : http// :www.fondationki-zerbo.org / 226.50.45.00.81). Il est proposé en partage, notamment aux chercheur(e)s pour murir la réflexion contemporaine pour un développement véritable et authentique de l’Afrique.
« On ne développe pas, On se développe ». Cette devise de Joseph Ki-Zerbo est loin d’être un slogan creux, bien qu’étant une brève formule, elle est frappante et lancée pour propager une idée, mais aussi soutenir l’action. Il s’agit d’une des plus brèves formules de Joseph Ki-Zerbo qui ont un sens symbolique mais fort, puisqu’elles expriment une pensée, un sentiment, une règle de vie et de conduite.
Joseph Ki-Zerbo fait remarquer que la réduction de la dépendance en matière de technologie ne sera possible que si les Africain(e)s multiplient les efforts, font le « pas décisif » pour adapter les technologies savamment créées par les générations qui nous ont précédées. Cette aptitude à améliorer les technologies endogènes et à en créer de nouvelles répondant aux problèmes et besoins actuels doit remplacer la capacité à s’endetter et à consommer les productions d’autrui.
Il met en garde celles et ceux qui pourraient penser que les techniques sont neutres, qui négligent notre patrimoine de savoirs et de techniques, renoncent à être des conquérants de l’esprit scientifique et préfèrent recevoir et consommer des gadgets et recettes venant d’ailleurs.
C’est cette idée qui est contenue dans le proverbe africain : « Dormir sur la natte des autres, c’est comme si l’on dormait parterre » et qui est le sous-titre d’un livre consacré au développement endogène écrit sous la direction de Joseph Ki-Zerbo. Le véritable défi c’est de rester éveillés, en alerte ; car « Nan laara an Saara » en dioula, langue nationale du Burkina Faso : « Si nous nous couchons, nous sommes morts ».
« C’est par son « être » que l’Afrique pourra vraiment accéder à l’avoir. À un avoir authentique ; pas à un avoir de l’aumône, de la mendicité. Il s’agit du problème de l’identité et du rôle à jouer dans le monde. Sans identité, nous sommes un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres : un ustensile. Et l’identité, c’est le rôle assumé. »
Pour que ce développement soit effectif, Joseph Ki-Zerbo invite les Africain (e)s à s’interroger et apporte des éléments de réponse notamment dans son livre « A quand l’Afrique ? » réédité en 2013 :
Où va notre Afrique ? Où allons-nous ? Où devons-nous et pouvons-nous aller ?
Où voulons-nous aller ? Que voulons-nous devenir ?
Mais tout d’abord : Qui sommes-nous ? :
Quels moyens ? C’est la question finale et non la première et non l’unique.
Le premier moyen disponible, ce sont les Africain (e)s qui depuis des millénaires ont « généré et élevé jour après jour ce continent en puisant presque uniquement dans leurs propres réserves. » Il faut constituer d’urgence le patrimoine africain, capitaliser les savoirs et techniques.
Joseph Ki-Zerbo recommande de faire un bilan des « savoirs paysans » des « savoirs accumulés ». Ce travail de fourmis et titanesque a commencé. Des chercheurs ont établi des nomenclatures de termes scientifiques africains en matière de botanique et sciences vétérinaires. Il en a été de même pour les méthodes autochtones de conservation de graines. Cependant, les stocks de connaissances sont en voie de disparition.
Les savoirs endogènes de l’Afrique (relatifs aux sols, à la biodiversité, à la nutrition, à la médecine vétérinaire) doivent être davantage répertoriés, documentés et disséminés à travers le continent.
Selon Joseph Ki-Zerbo, il y a des positions stratégiques à tenir. La culture n’est pas un objet de consommation à exhiber au cours des festivals aussi prestigieux qu’il soit. C’est une ressource, une source, une énergie autogénérée.
Des actions s’imposent :
1. Il faut d’abord « réactiver l’initiation en relayant les schémas traditionnels à travers des dispositifs actualisés de dialogue entre jeunes et vieux, citoyens d’ethnies et Etats différents ; »
2. Il est indispensable de « se connaître mutuellement « : il faut éviter de renoncer à des savoirs-faire, des découvertes qui sont à portée de main par simple ignorance ou mépris de soi et des autres Africains.
3. Il faut des pôles d’excellence vivants, pouvant être des centres de formation et d’exhibition du savoir-faire de nos créatrices et créateurs (telle que la cérémonie annuelle des Koras pour la Musique, le Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou – SIAO. Joseph Ki-Zerbo propose par exemple une foire panafricaine de la nutrition qui mettre en lumière la richesse multiforme de l’Afrique et la capacité qu’elle a de trouver en elle-même les ressources pour produire et se reproduire.
4. Il faut enfin « conjuguer et marier les identités », le savoir-être et le savoir-faire.
L’Afrique doit être responsable. Elle doit inventer. Il est évident que l’industrialisation ne peut être octroyée à l’Afrique par un don des pays industrialisés qui tire satisfaction de l’actuelle division internationale du travail. Il faut aller au-delà de l’autosuffisance alimentaire vivement recommandée aux Africains.
Selon Joseph Ki-Zerbo, « l’agro-industrie doit être une des réponses à ce défi. » Ce travail est en cours. Pour preuve récente, l’organisation des Journées de l’Agro-Alimentaires ) à Ouagadougou du 25 novembre au 04 décembre 2013 organisées par la Fédération Nationale de l’Industrie Agro-Alimentaire du Burkina (FIAB) ayant pour défis notamment la valorisation de la recherche et l’émergence de petites et moyennes entreprises ou industries prospères et durables. Il faut poursuivre ce travail sans relâche en impliquant le maximum de personnes-ressources, de toutes disciplines, de toutes générations, de tous horizons au-delà des frontières officielles de nos pays, dans le cadre des nouvelles frontières de référence, celles de l’intégration régionale.
La science n’évoluera que lorsque les chercheurs de toutes disciplines sortiront des « ghettos micro-nationaux » et auront des rapports entre eux. « Car la recherche scientifique avance par … l’obtention d’une masse critique de matière grise en dessous de laquelle rien de décisif ne se passe. » Il faut coaliser les savoirs.
Nous avons des créneaux porteurs, surtout au niveau des industries culturelles. Nous avons les chercheurs, les inventeurs, les producteurs, les créateurs en matière de musique, de danse, des arts plastiques, du théâtre, de la vie en commun, de la convivialité, de la prise en charge des plus faibles, du management originel de l’environnement, du rapport à la santé … de la gestion des conflits,…En matière juridique et économique, il existe des formes d’organisations traditionnelles pratiquées par plusieurs ethnies d’Afrique.
Joseph Ki-Zerbo met en exergue l’importance des langues et de l’écriture. Nous devons non seulement apprendre aux sages africains à écrire, mais aussi apprendre nous-mêmes à écrire nos langues, afin que nous puissions nous retrouver tous. « La lente asphyxie des langues africaines serait dramatique, ce serait la descente aux enfers, pour l’identité africaine. » Le savoir endogène doit en effet constituer un point de départ et un point de retour pour contrôler le processus du développement.
Il montre que dans les cultures africaines se trouvent depuis toujours les ferments d’une autre société, qu’il faut partir des traditions pour penser et construire un avenir. Il faut donc se connecter ou rester connecté aux valeurs culturelles, aux savoirs de l’Afrique.
En conclusion, paraphrasant Joseph Ki-Zerbo, nous rappelons que le « développement clés en mains » n’existe pas. Le seul développement possible est le « développement clés en têtes ».
Il nous faut donc, « Creuser les puits d’aujourd’hui pour les soifs de demain ».
Découvrons donc ou redécouvrons le message-testament de Joseph Ki-Zerbo adressé à la jeunesse africaine, mais au-delà à tous les fils et filles de notre cher continent qu’il a présenté comme Berceau et Espoir de l’Humanité, car : « …La convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge contre nous, peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir ».
Me Françoise Ki-Zerbo