La problématique de la femme dans la pensée du Professeur Joseph KI-ZERBO

Ceci un hommage au Professeur Joseph KI-ZERBO, que nous publions en cette journée internationale des droits de la femmes. Le texte est de la Génération Joseph KI-ZERBO et date de Décembre 2009. Il nous fait revisiter la pensée du Professeur au sujet de femme.

L’histoire est écrite par les hommes, dit-on. Si tant est que cette assertion est indubitable, il appert tout aussi que cette histoire écrite par certains hommes, sur la base de celle faite souvent par d’autres, est celle des plus forts, des vainqueurs. Depuis l’origine de l’Humanité, certaines franges de la population ont été exclues de l’histoire. Ce sont elles que le Pr. Joseph Ki-Zerbo qualifie « d’oubliés de l’histoire », en l’occurrence, les femmes et les enfants. Mais nous évoquerons là la problématique de la femme dans la pensée du Pr. Joseph Ki-Zerbo qui relève d’une véritable gageure. De ce fait, nous n’avons point la prétention de présenter une réflexion exhaustive ou un travail pétri dans la perfection. Les constellations d’erreurs qui borderont les présentes lignes devront être juste considérées comme de petits pas sur le long sentier tortueux du savoir et de la connaissance incommensurables.

Pour le Pr. Joseph Ki-Zerbo : « la cause des femmes est une des grandes causes humaines dans chaque société et doit être traitée comme telle ». La problématique de la femme dans sa pensée peut concerner cinq grandes thématiques, souvent liées de manière étroite, entremêlées. La première thématique porte sur la femme africaine dans la préhistoire et dans l’Egypte pharaonique, voire aussi dans la société traditionnelle africaine. Il y a 6 ou 7 millions d’années, un groupe d’hominidés s’était constitué au Sud-Est africain pour faire de l’Afrique, comme le dit le Pr. Ki-Zerbo, « berceau et espoir de l’humanité ». Selon des auteurs comme Eliane Morgan, la femme a accédé la première au statut humain. Sa condition au temps des pharaons est posée par le Pr. J. Ki-Zerbo au triple plan d’être humain, de membre du lignage et de femme. Le statut humain de la femme lui permettait d’avoir accès à tous les métiers et de participer à la vie publique ou politique malgré quelques éléments négatifs comme la division du travail. La femme égyptienne en tant qu’épouse et mère était le véritable pivot familial. Deux femmes incarnaient cette image : Néfertiti, la première épouse de Akhenaton (XVIIIème dynastie à partir de 1552 avant l’ère chrétienne) et Néfertari, l’épouse adorée de Ramsès II (XIXème dynastie). On évoque la femme égyptienne en tant que femme, à travers la propreté, les soins du corps, les costumes, les parures, etc. Selon le Pr. Joseph Ki-Zerbo « les Egyptiens ont inventé dans l’univers du mythe, sous les espèces de trois déesses prestigieuses, l’image contrastée et tridimensionnelle de l’Eve noire et peut-être universelle : Isis, Hathor et Maât ». Dans la société traditionnelle africaine, il y avait des aspects négatifs mais positifs aussi. L’article 14 de la Charte de Kurukan Fuga ne disposait-il pas d’ailleurs : « N’offensez jamais les femmes, nos mères » et l’article 16, « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes doivent être associées à tous nos Gouvernements » ?

La deuxième thématique porte sur la femme et l’engagement ou les conditions de sa liberté. La femme africaine a un rôle non moindre à jouer dans la société, en tant que matrice de l’équilibre cosmique. Quand on loue les mérites des hommes, on oublie bien souvent ceux des femmes. Pourtant, peut-on parler du Pr. Ki-Zerbo tout en occultant son épouse Jacqueline ? On oublie la place et le rôle qui ont été siens aux côtés de son époux. Invoquons, évoquons et convoquons l’Histoire. Les femmes, à l’instar de Cléopâtre, de celles du FRELIMO (Mozambique), des Amazones du Dahomey, de celles du Ouossebougou (Mali), de celles de Soweto, de Titina Sylla du P.A.I.G.C. de Guinée Bissau, de Myriam Makéba, des mères, épouses de rois comme Louedji, reine des Lounda, etc., doivent être l’archétype de la lutte pour la liberté. « Elles ne seront pas libérées de l’extérieur, elles se libèreront elles-mêmes, individuellement et collectivement » selon le Pr. J. Ki-Zerbo.

A travers cet engagement, nous évoquons une autre thématique : l’unité et l’identité africaine. Pour le Pr. Ki-Zerbo, l’unité est le seul antidote à la désagrégation culturelle. Les femmes africaines ne doivent pas avoir une image très dégradée d’elles-mêmes au point de se laisser enfermer dans des archétypes stéréotypés et un mimétisme occidental. En ce qui concerne le triptyque « Genre, Education et Développement » comme quatrième thématique, il faut dire d’ores et déjà que l’intelligence n’a pas de sexe.

Longtemps, certaines personnes ont voulu reléguer la femme à un niveau subalterne de l’exercice intellectuel. Pour le Pr. Ki-Zerbo, on peut avancer comme hypothèse, l’équation : Femme + Education = Développement + Progrès, car : Femme – Education = Sous développement – Progrès. La dernière thématique concerne l’émancipation de la femme, sujette à de nombreux amalgames conceptuels, car les paradigmes utilisés sont parfois « prématurés », conçus par les brumes de certains esprits. Leur ignorance de l’Histoire ou des concepts n’a souvent d’égale que leur aveuglement et leur croyance aveuglément. Pour le Pr. Ki-Zerbo : « La femme n’est ni meilleure, ni inférieure à l’homme ». Ils sont juste complémentaires. La lutte pour l’émancipation de la femme est tournée souvent vers la recherche d’une égalité mathématique et stérile. Selon le Pr. Joseph Ki-Zerbo, « L’émancipation c’est deux choses : d’une part la non-dépendance, et d’autre part la responsabilisation. En effet, il n’y a pas d’indépendance absolue et la responsabilisation introduit l’idée d’un contrôle par la conscience (…). L’émancipation sans norme ne pousse que vers d’autres esclavages. (…) A bas tous les tas d’ordures réservés aux femmes ! A bas l’apartheid du genre ! A bas tous les genres d’apartheid ! » A sa suite donc, nous disons à toutes les femmes : « N’aa laara, aa saara ».